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A la fin des années 80, je me suis attelé à la réalisation d'arcs droits. Ce que j'ai alors découvert m'a vite convaincu qu'il y avait fort à faire dans ce domaine, car le sujet ne me paraissait pas vraiment approfondi.
J'ai dû travailler en appliquant les règles de la mécanique à un ressort composite, où de nombreux paramètres se combinent.
L' arc droit court faisant sévèrement défaut et convaincu qu'il ne devrait pas nécessairement être long pour être performant mais bien au contraire, je me suis efforcé de le raccourcir. En conséquence, j'ai mis sur plan et réalisé le célèbre Wakatanka de 60", ainsi que l'ensemble de toute la gamme. Arcs droits longs et courts, recurve et semi-recurve ont fait naître Le grand Gallois.

Durant toutes ces années, mon objectif et mon plus grand plaisir ont été d'innover sans cesse, afin d'obtenir le meilleur de la plus élégante et noble des armes (voir résultats).

Il est temps pour moi de laisser ma place, de transmettre mes techniques et secrets de fabrication à mon successeur qui saura poursuivre l'histoire.

Le déclic

Au retour de mon aventure dans la nature Canadienne en 1987 (voir Le Québec au fond des bois), j'ai eu la désagréable surprise de constater une vilaine fissure dans l'if de mon arc. La trace de choc qui l'accompagnait ne laissait pas de doute sur la cause.
Cet arc, aux caractéristiques particulières, avait été exécuté en Angleterre dans l'atelier de Roy King. Ce vieux facteur d'arc ne fait malheureusement plus partie de ce monde depuis longtemps. Je tenais cependant à remplacer mon Roy King par une réalisation, autant que possible comparable.

Après un tour d'horizon et examen de l'ensemble de l'offre des fournisseurs de l'époque, je pris conscience qu'aucun modèle ne me correspondait, ou avait réussi à me convaincre. Je me tournais alors vers une vieille connaissance dont je tairai le nom ici, mais que tous le monde connait et qui était devenu le facteur d'arcs Français.
Notre communication téléphonique ne suffisant pas à déterminer comment il pouvait répondre à mes exigences, je lui propose alors d'aller le rencontrer. Sur place nous pourrions mieux faire le point. Le samedi à venir était le jour de notre rendez-vous.
Mes espérances se sont vite envolées, quand il m'a rappelé, une heure plus tard, pour m'expliquer qu'il ne souhaitait pas me recevoir chez lui. La discrétion imposait que toute personne potentiellement susceptible de percer ses «Secrets» de fabrication, ne devait pas passer le seuil de son atelier. Pourtant, l'idée de découvrir les méthodes de travail d'un facteur d'arcs ne m'avait même pas effleurée, je n'avais pas la moindre inspiration pour cette activité, ce sujet était absent de mon esprit.

Mais alors ? Comment et ou trouver mon arc ?

L'idée a pris forme, l'inspiration est venue, j'allais le réaliser moi-même.

Comble de l'ironie, ce qui devait entraver un projet que je n'avais pas, a été le déclencheur de ce qui allait vite devenir Le grand Gallois.

L'aventure

Construire un arc, le façonner pour la première fois, aurait dû me paraître un projet ardu, particulièrement à une époque ou il était courant de penser, que cette entreprise relevait quasiment de la sorcellerie. Heureusement, enthousiasmé par l'attrait de l'aventure, ces questions ne m'ont pas embarrassé.

Ma première réalisation, bien qu'assez réussi, ne l'était pas suffisamment. Elle m'a rappelé que pour faire du bon travail, il faut de bon outils. J'ai alors investi tout ce que j'avais dans quelques machines, entrepris la fabrication de quelques appareillages à usages déterminés, ainsi que d'outillage spécialisé. Dans le même temps, j'ai déménagé toute ma famille dans une maison pouvant m'offrir un espace atelier.

Puis j'ai dû concevoir les bons profils (la ligne de courbure d'une poupée à l'autre de l'arc débandé), en réaliser les moules et autres gabarits sur les machines de pointe dont je disposais. Les puissants ordinateurs des centres d'usinage complétaient mes calculs tout en pilotant les machines à un petit 1/1000 de mm. Il fallait savoir les faire fonctionner, mais par chance, c'était mon métier de base. (Afin d'éviter touts confusions, je précise que seuls certains matériels et outils sont passés par les centres d'usinage. Les arcs quand à eux, ont de tout temps été réalisés de façon entièrement artisanale, mais à partir d'un matériel de mise en forme de précision.)
Les épreuves de durabilité était assurés par mes deux fils sortis de leur adolescence et pleins de vigueur, ce qui leur a valu quelques dizaines de milliers de décoches.

Par leurs résultats aux épreuves des Championnats de France, ainsi qu'aux deux Coupes d'Europe qui s'étaient déroulées à cette période et en fait à l'ensemble des compétitions, mon frère Jean-Marie, puis ensuite de nombreux autres archers, me démontraient le bon résultat de mon travail et m'encourageaient à persister.

Pendant ce temps, plongé dans la matière et dans mes plans et à force d'application, de nouvelles subtilités apparaissaient.

Il ne s'agissait pas d'opérer à un empilage de bois avec un fuselage. Chaque angle, chaque rayon et leur position, chaque rapport de longueur participent à la performance de l'ensemble.

La mécanique de l'arc est discrète, c'est peut être ce qui la rend captivante. Je ne sais d'ailleurs pas lequel des deux accompagne

l'autre depuis 25 ans?

Jean-Paul GUY